Tahar DJAOUT

 

(t)race d’erg

 

(Esquisse d’une fable à deux lieux)

 

 

 

A l’aube, ils trouvèrent tout chamboulé

 

 

 

L’onagre dit :

 

 

 

Pourquoi accuser les furoncles qui jonchent ta peau moisie

 

-     - tu as déjà des écailles  sur les mains et les fesses- -

 

Alors qu’il y a aussi toutes ces bâtisses

 

Qui te voilent le soleil ?

 

 

 

La surface de mon erg n’est plus ce qu’elle était :

 

Hôtels de tentes, motels et dunes climatisées.

 

 

 

Où fourrer mon galop assoiffé d’espaces vierges et de poussière non polluée ?

 

ferrailles, terre-pleins et carcasses bétonnées.

 

Horizon bouché.

 

 

 

Je ne regarderai plus l’arc en ciel s’iriser de travers

 

Et cet ébrouement de cincle tel dieu pris dans ses rets.

 

 

 

Venez, architectes de vents et de désirs, redresser le ciel pris de vertige ;

 

 

 

 

 

Accourez et que le maître des gaz rares

 

-     -comblés vos rêves de stratosphère - -

 

Vous dispense sa manne de néon.

 

 

 

Le dromadaire énumère :

 

Fantasia de tisnit,

 

 

 

Danseurs de biskra

 

 

 

Antinea (tin-hinan)

 

 

 

Désert de le clézio

 

 

 

La goutte d’or de tournier

 

 

 

Venez à hammam-meskoutine,

 

 

 

Arabe chassant au faucon,

 

 

 

 Les sarrazins déguisés en diables effraient l’armée

 

de Charlemagne

 

 

 

ET
LE

 

PEUPLE

 

OPERE

 

EN

 

MARGE

 

 

 

 

 

L’onagre :

 

 

 

Nous voulions conquérir l’espace nécessaire à vos ébats et à vos rêves sans frontières.

 

Après le fer croisé,

 

le cours d’eau domestiqué,

 

après le rire cristallin du poète bisexué,

 

l’ovation des adolescents aux jambes belles,

 

la gloire des sexes clairs comme des lunes,

 

redeviendrons-nous un pays d’interdits ?

 

 

 

Le dromadaire rêvasse

 

 

 

Ah ! couper les digues qui m’empêchent d’aller m’ accouder sur les parapets pour dire des grossièretés à la mer violée de mazout

 

 

 

Dehors,

 

Strident comme une insulte, le rire se déclenche à mon encontre

 

 

 

ET CETTE PEUR

 

DE MOI-MÊME

 

PLUS QUE JAMAIS

 

ENRACINÉE

 

tryptique de la floraison

.

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.

 

bonJOUR DE nATYOT

Je m’appelle Éponge, ponge, ponce, pense, pende, bande, bonde,
boude, bouge, bouche, boucha, Bouchra.

 

Je m’appelle Bouchra
Je suis femme de ménage
Quand je travaille
Je disparais

 

Pas la peine que je fasse des signes
Avec la main
Avec les dents, le sourire
Pas la peine
On ne me voit pas
On regarde mon travail
Mais pas moi
Je peux croiser des gens toute la journée
Mais eux ne me croisent pas
Personne ne me voit
Sauf les enfants
Mais il faut qu’ils soient des tout-petits
Les tout-petits me voient
Sinon non
On ne me voit pas

 

Extrait de Bonjour de Natyot (La contre allée, 2024)

 

 

 

 

 

 

 

Natyot est auteure de poésie, de roman, de théâtre, et propose des performances mêlant textes, musique, vidéo, danse ou arts plastiques. Elle décrypte les rapports humains dans le quotidien à travers les dominations sociale, culturelle, de genre et économique, entre sensualité et bestialité.

 

En 2024, les éditions de la Contre allée publient un troisième roman, Le Bercail, et rééditent Hotdog de Natyot, poèmes qui donnent à lire les mots et des instants de vie de personnes sans domicile fixe, réuni au recueil inédit Bonjour. Dans ce dernier, elle donne la parole à des femmes agentes d’entretien, venues parfois d’ailleurs mais toujours confrontées au regard méprisant de la société, qui se révoltent par le langage pour affirmer leur dignité.

 

 

 

Le Poème du mois

juillet 2020


JUIN 2020